La juriste Saskia Stucki a développé le concept nouveau de "Animal Warfare Law" (traduction littérale "Loi sur la guerre animale») qui,selon elle,pourrait ouvrir une nouvelle voie susceptible d'allier bien-être animal ("Animal Welfare") et droits des animaux ("Animal Rights").
Ce concept est né du rapprochement que fait l'auteure du droit du bien-être animal et du droit humanitaire (droit destiné aux humains au cours de conflits armés) après la lecture d'un ouvrage ( "The Humanization of Humanitarian Law") deTheodor Meron ( voir https://www.jstor.org/stable/2555292?seq=1).
Ce qui a frappé Saskia Stucki c'est la notion de "unnecessary suffering" ("souffrance inutile") dont parle Th.Meron dans son livre s'agissant de la guerre humaine; il y a lieu, en cas de conflit armé, d'éviter de faire souffrir les humains en introduisant dans le droit de la guerre des droits fondamentaux de l'homme.
Cette notion de "souffrances inutiles" du droit humanitaire se retrouve également dans le droit du bien-être animal. On y parle également de l'obligation d'un traitement humain des animaux ("humane treatment of animals"), de "humane slaughter" (abattage sans souffrance inutile) et de l'obligation d'éviter des souffrances inutiles.
Saskia Stucki a exploré les similarités entre les deux droits (droit humanitaire et droit du bien-être animal).
Cela a constitué le point de départ de l'étude de Saskia Stucki.
La guerre, d'une part, et l'exploitation animale, d'autre part, sont toutes deux violentes, parfois même à un point extrême.
Aussi, tant le droit humanitaire que le droit du bien-être animal ont tenté d'établir des garde-fous permettant de contenir la violence intrinsèque des deux formes de violence.
Pour répondre à la violence intrinsèque de la guerre et de l'exploitation animale, ces droits apparus récemment permettent certes de limiter les souffrances en instituant des règles mais on peut aussi soutenir qu'ils "légitimisent" d'une certaine façon les deux pratiques plutôt que de les interdire et de les éradiquer.
Il est d'ailleurs intéressant de noter que les critiques émises autour des deux droits sont très similaires.
La notion de "souffrance inutile est le point clé qu'il convient de définir.
Quand la souffrance est-elle ou peut-elle être considérée comme "utile" durant une guerre et dans le cadre de l'exploitation animale ?
La règle générale dans les deux cas est fondée sur un compromis .
Il faut,s'agissant du droit humanitaire, établir un équilibre entre la nécessité militaire et les considérations humanitaires.
Il en de même s'agissant de l'exploitation animale. Il faut trouver un équilibre entre la l'exploitation et les intérêts des animaux.
Il faut toujours procéder à un examen cas par cas.
S'agissant de la définition de la notion de souffrances inutiles au cours d'une guerre, selon la cour internationale de justice, il y a souffrances inutiles lorsque les souffrances infligées excèdent celles qui auraient été inévitables pour atteindre le même résultat militaire.
La notion de souffrances inutiles est bien plus large s'agissant du droit du bien-être animal car les motifs d'exploitation animale et les cas de figure sont bien plus nombreux que dans le cadre du droit humanitaire qui ne s'applique qu'en cas de guerre.
Le droit humanitaire est un droit qui s'applique à une pratique (la guerre) "interdite" (les droits de l'homme constituant le principe) alors que le droit du bien-être animal s'applique à une pratique courante, légitimée, institutionnalisée, normalisée.
Le droit humanitaire ne s'applique que de façon exceptionnelle alors que le droit du bien-être régit une situation "normale" à savoir celle de l'exploitation animale à titre de règle générale.
C'est, pour Saskia Stucki, la raison pour laquelle il faudrait développer deux droits analogues pour les animaux: un droit interdisant de façon générale la pratique de l'exploitation et un droit qui permettrait, comme le droit humanitaire, de contenir la violence de l'exploitation animale dans des situations exceptionnelles (normalement interdites) en interdisant les souffrances inutiles.
La notion de "Animal Warfare Law" est une notion plus claire qui ne laisse pas de place à l'ambiguïté. Le droit de la guerre animale a pour objet d'éviter des souffrances inutiles dans des cas exceptionnels alors que le droit du bien-être animal donne l'impression (fausse) qu'il protège de façon générale les animaux alors qu'il ne fait que condamner les pratiques les plus cruelles.
Les animaux, selon la chercheuse, ont toujours été dans une situation de guerre. L'homme se livre d'une certaine façon à une guerre permanente contre les animaux.
Qu'est-ce que cela signifie? cette idée de "guerre" (Warfare) est utilisée par analogie.
Pour Saskia Stucki, cela signifie pas que la violence institutionnalisée de l'exploitation soit comparable à la guerre militaire classique.
Ce terme est utilisé pour souligner l'idée que les régimes juridiques s'appliquant à la guerre et à l'exploitation animale sont comparables par certains aspects.
L'idée développée par Saskia Stucki est de créer un régime juridique double pour les animaux qui:
- interdise l'institutionnalisation de la violence contre les animaux dans le cadre de leur exploitation (idem que l'interdiction de la guerre pour les humains);même si l'exploitation des animaux était interdite de façon générale elle se produirait néanmoins dans certains cas, comme pour la guerre entre humains.
- créé en leur faveur des droits fondamentaux (similaires aux droits de l'homme pour les humains).
Ce qui est fondamentalement différent entre bien-être animal (Animal Welfare Law) et la notion de droits des animaux (Animal Rights) c'est que le premier est le résultat de nombreux compromis permettant la perpétuation de l'exploitation alors que la notion de droits des animaux interdit par essence toute exploitation animale (et non pas toute interaction entre humains et animaux).
Le bien-être animal (Animal Welfare) permet de tuer un animal sous réserve de ne pas le faire souffrir inutilement alors que dans le cadre de la notion de "droits des animaux" (Animal Rights) cela serait formellement interdit.
Le principal intérêt de ce nouveau concept est, dans l'esprit de Saskia Stucki, de permettre de faire co-exister le droit du "bien-être animal" (Animal Welfare Law) et celui du "Animal Warfare Law" et d'éviter l'écueil de l'opposition radicale entre bien-être animal et droits des animaux qui ne permet pas la coexistence des deux concepts.
Saskia Stucki publiera prochainement (encore d'ici la fin d'année) son article "Beyond Animal Welfare/Warfare Law: Humanizing the war on animals and the need for complementary animal rights".
Une lecture qui promet d'être intéressante et de mieux comprendre le concept élaboré par la jeune chercheuse.
Quelques infos sur Saskia Stucki:
Saskia Stucki est une juriste suisse chercheuse sénior à l'Institut Max Planck de droit public comparé et de droit international à Heidelberg, en Allemagne. En 2018/2019, elle était chercheuse invitée au Harvard Law School Animal Law & Policy Program, où elle a travaillé sur son projet de recherche postdoctoral de deux ans «Trilogie sur une théorie juridique des droits des animaux» (financé par le Fonds national suisse).
Elle a étudié le droit à l'Université de Bâle, en Suisse, où elle a également obtenu son doctorat en 2015. Le livre qui en résulte sur «Les droits fondamentaux des animaux» (2016) a remporté quatre prix, entre autres le prix biennal de l'Association suisse pour la philosophie de droit et de philosophie sociale.
Ses intérêts de recherche incluent le droit et l'éthique des animaux, la personnalité et les droits des animaux, les études juridiques sur les animaux et le droit comparé du bien-être animal, la théorie juridique, la philosophie des droits de l'homme, le droit international humanitaire (droit international qui réglemente ce qui peut être fait durant une guerre) et le droit de l'environnement.
Ecoutez le podcast (en anglais) pour en savoir plus sur son concept. Lien: