Au lendemain des débats à l'Assemblée Nationale le 27 mai dernier dans le cadre de l'examen du projet de loi EGalim , de nombreux animalistes et "amis" des animaux se sont réveillés avec la gueule de bois.
Les réseaux sociaux se sont soudainement et instantanément transformés en exutoire pour de nombreux internautes: des centaines de tweets rageurs, de "posts" incendiaires, de "billets"au langage plus ou moins maitrisé ont été publiés contre Emmanuel Macron, son ministre de l'agriculture et plus encore contre les députés de sa majorité. Tous des "salauds", des "vendus",des "bourreaux",etc.
Certes la déception voire la colère sont justifiées. Mais la colère n'est guère bonne conseillère en la matière.
En effet, depuis l'accession au pouvoir d'Emmanuel Macron en mai 2017, nous n'avons pas eu l'occasion de nous réjouir d'une quelconque avancée au plan du bien-être animal: opération "séduction" en faveur des chasseurs (permis au coût bradé, soutien à la chasse à courre, réintroduction des chasses présidentielles) , rejet de tous les amendements améliorant le bien-être animal dans l'agriculture et dans les abattoirs (Loi EGalim) , plan loup décevant qui ne satisfait ni les éleveurs ni les protecteurs de la nature, annulation de l'arrêté "cétacés" par le Conseil d'état et nouvel arrêté qui peine à sortir et qui, en tout état de cause, constituera un recul par rapport aux dispositions de celui annulé)….bref, il n'y a vraiment pas matière à se gausser de l'avancée de la cause animale en France alors que 2015 avait créé un formidable espoir avec la reconnaissance de la sensibilité animale dans le code civil.
La France se fait désormais "damer" le pion par la province de Wallonie en Belgique qui a été particulièrement audacieuse très récemment avec un code du bien-être animal qui constitue une réelle avancée.
Alors qui est responsable de cette situation et le retour à un certain "archaïsme" en France ?
Il est trop facile de pointer le doigt sur le président, son gouvernement et sa majorité.
Certes, ils sont,dans les faits, les promoteurs et auteurs de cette situation mais avec la complicité passive de nous tous.
Il n'aura échappé à personne qu'il n'y a plus, en France, ni opposition politique crédible, ni capacité de mobilisation des citoyens.
Cela affecte non seulement la cause animale mais plus largement toutes les causes sociétales (droit du travail, retraites, droits des chômeurs, handicapés, sécurité alimentaire, soins, etc.).
Aucune cause, même celles qui a priori devraient toucher davantage les citoyens, ne mobilise actuellement . Les cortèges de manifestants sont clairsemés.
En fait, nous avons perdu en France toute capacité d'indignation et de mobilisation (nous sommes loin de réunir 40'000 manifestants comme en Espagne il y a quelques jours contre la corrida !) .
Nous préférons désormais confortablement installés dans nos canapés partager des articles, des tweets et mettre des "like" à des posts sur Facebook et signer des pétitions .
C'est bien mais cela ne modifiera aucunement les équilibres (ou plutôt le déséquilibre entre les lobbys et les partisans de la cause animale)..;et surtout cela n'est pas de nature à motiver le pouvoir à en tenir compte.
85 % des citoyens sont(selon un sondage) "pour" l'installation des caméras dans les abattoirs.
Super ! so what ?
Le 27 mars dernier l'assemblée nationale a voté contre...et alors quelle réaction dans le public ? est-ce que les 85 % de citoyens sondés sont allé dans la rue pour manifester ? non. Seule réaction : des centaines de tweets pour traiter les politiques de lâches, de vendus, de bourreaux etc.
Emmanuel Macron est un homme politique intelligent, pragmatique et fin tacticien.
Il sait très bien qui peut servir son dessein présidentiel et asseoir son pouvoir; Il fait des cadeaux aux chasseurs non pas parce qu'il aime les chasseurs et déteste les animaux mais parce qu'ils ont un poids économique et électoral; ce sont des électeurs potentiels majoritairement tentés ou sensibles actuellement au discours du Front National (Env.40% du vote chasseur selon le président de la FNC Willy Schraen).
Il est naïf de penser que les femmes et hommes politiques sont sensibles à une cause pour des raisons éthiques.
Ils ne se mobilisent pour une cause que s'ils perçoivent que cette cause est largement soutenue par les citoyens. Or, qu'on veuille l'admettre ou non, la cause animale est loin de fédérer une part importante de la population.
Il n'est dès lors pas étonnant qu'Emmanuel Macron, son gouvernement et ses députés privilégient les intérêts de ceux qui peuvent contribuer au maintien en place de la majorité et au succès de ses projets.
C'est ce que l'on appelle la realpolitik.
Outre les citoyens peu mobilisés par la cause animale (au moins au niveau de l'action), l'atomisation du mouvement animaliste et plus largement de la protection animale n'aide aucunement à ce que la cause animale progresse et puisse constituer un réel contre-pouvoir face aux lobbys.
Des "agendas" différents, des egos à soigner, des adhérents à séduire, aucun leader qui puisse porter la cause au devant de la scène médiatique.
En fait ,et il faut le regretter,le mouvement animaliste vit très majoritairement en vase clos.
On cultive un certain "entre-soi", on fréquente les mêmes soirées, les mêmes salons, conférences et colloques. Une sorte de communautarisme qui a des aspects "sympa"(dont les membres sont considérés largement- à tort certes- comme des bobos) mais dont les membres, malheureusement, n'ouvrent pas suffisamment leurs bras et leur esprit à un public plus large pour qu'ils les rejoignent dans la défense des intérêts des animaux. En somme, tu n'es pas végane ou pas au moins végétarien et tu n'es pas un ami des animaux...discours trop réducteur en fait.
Cela fait des années que je fréquente et que j'interviens dans des colloques et conférences que ce soit en France ou à l'étranger ; j'y rencontre souvent les mêmes personnes tant du côté des intervenants que des participants. C'est dommage et cela montre à quel point ce cercle est petit et relativement fermé. Peu ou trop peu de nouvelle "têtes".
Le mouvement ne parviens pas à attirer un nombre significatif de nouveaux sympathisants et encore moins une part importante de la population. C'est un constat.
Il y a davantage (au moins deux fois plus; 2 millions contre 1 million) de végétariens et véganes que de chasseurs… et pourtant, qui est plus efficace et pourquoi ? d'un côté ,unité des chasseurs, poids économique plus facile à déterminer et ils ont l'oreille des politiques car ils représentent un poids électoral très courtisé.
De l'autre côté, des amis des animaux trop disséminés, sans leader, sans programme clair et partagé, bref rien qui puisse constituer un contre-pouvoir face aux lobbys et jouer un rôle significatif lors des élections.
Bien sûr, nous avons vu l'émergence du parti animaliste (qui a fait un "bon" score lors des dernières élections législatives), la publication de dizaines d'ouvrages sur les animaux et des ouvrages de droit animalier (3 en deux ans !) et surtout le très remarqué code de l'animal du Prof. Marguénaud en mars dernier. Bien sûr L214 a fait un travail formidable en révélant des vidéos choquantes sur les traitements inacceptables des animaux dans certains abattoirs qui ont ébranlé les citoyens et fragilisé la filière.
Bien sûr 269Libération animale a lancé des actions très médiatisées de résistance citoyenne pacifique au sein des abattoirs au prix de plusieurs procédures pénales qui exposent ses leaders à des condamnations privatives de liberté dans la quasi-indifférence.
Toutes ces actions sont encourageantes mais insuffisantes pour gagner à la cause une part significative des citoyens et ainsi inverser le cours de la politique mise en œuvre.
La cause animale ne parviendra à ses fins que si elle est en capacité d'élargir la portée de ses actions, à séduire une part significative de la population en s'unifiant, en parlant d'une seule et forte voix , en ayant un véritable leader, en adoptant une stratégie efficace, en ayant un vrai projet réaliste et en lançant des actions de terrain notamment au plan éducatif.
Ce billet ne se veut pas pessimiste mais réaliste. Il ne doit pas démoraliser mais au contraire remobiliser les acteurs de ce combat pour un avenir meilleur pour nos cousins à poil, à plume, à écailles.
Animalement vôtre,