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Juriste .Coordinateur de EGALS (Educational Group for Animal Law Studies- http://egals.university/).Chargé d'enseignement en droit de l'animal /Université de Strasbourg. Président de TELAS Conseil -Consultant en protection animale et formateur. Profil complet sur https://www.linkedin.com/in/jean-marc-neumann-b634bb179/

vendredi 13 janvier 2017

Proposition de loi Falorni sur le respect de l'animal en abattoir / Débats hier en première lecture à l'Assemblée Nationale

Les débats qui ont eu lieu hier soir à l'Assemblée Nationale au sujet de la proposition de loi Falorni étaient très attendus.

Dans l'hémicycle, comme hélas (trop) souvent, peu de députés présents...32 sur 577 !
Manifestement le bien-être en abattoir n'est pas au cœur de leurs préoccupations....
La seule vraie "surprise" a été l'adoption de la mesure relative à l'installation de caméras de surveillance dans les abattoirs, mesure qui avait été retirée lors de l'examen en commission le 14 décembre dernier et dont on pouvait légitimement craindre qu'elle soit définitivement abandonnée.

J'y reviendrai plus tard.

1) Les débats :

Les débats ont été, à vrai dire, à la "hauteur du résultat final: décevants et en décalage avec l'évolution sociétale. En somme, les députés ont davantage défendu les intérêts de la filière que répondu à l'évolution sociétale pourtant évidente.

J'ai, sans grande surprise il est vrai, relevé certains propos qui, s'ils reconnaissent la réalité et le caractère inacceptable des mauvais traitements observés dans plusieurs abattoirs (vidéos de L214), estiment qu'il ne faut pas laisser les émotions l'emporter et qu'il faut garder la tête froide. 

Certes, tous les députés présents se sont accordés sur le constat que les mauvais traitements observés étaient inadmissibles et devaient être sanctionnés.

M.Chevrollier (LR) a toutefois estimé qu'il ne fallait pas se laisser emporter par la forte médiatisation du sujet ;il a tenu à faire observer que les abattoirs qu'il a pu visiter ne posaient aucun problème... et qu'il ne fallait pas stigmatiser les salariés des abattoirs qui "souffrent de l'image véhiculée par les images". En conclusion M.Chevrollier a estimé et qu'il ne fallait pas tomber dans le piège tendu par L214 qui souhaite la fin de toute exploitation animale.

Le député Le Fur (LR) a rappelé de son côté qu'il ne fallait pas oublier que "l'on agit dans un contexte de crise agricole" et a fait observer  que les abattoirs de son secteur étaient déjà très contrôlés. Il a, en particulier, souligné que les salariés des abattoirs trouvent très bien que l'on pense au bien-être animal mais souhaitent que l'on pense aussi à eux...

J'ai noté les propos récurrents de la plupart des députés (de droite comme de gauche):

- oui les mauvais traitements observés sur les vidéos tournées par L214 sont intolérables et qu'il faut les sanctionner;
- il s'agit cependant de faits survenus dans un nombre marginal d'abattoirs, l'immense majorité d'entre eux fonctionnant "normalement" ;
- l'objectif de L214 est de mettre fin à toute exploitation animale et qu'il ne faut pas tomber dans le piège tendu;
- ne pas stigmatiser les salariés qui souffrent de l'image véhiculée par les vidéos et d'être pointés du doigt; les salariés souffrent aussi;
- il ne faut pas "fliquer" les salariés mais les former (ce qui est juste)
- nous sommes dans le contexte d'une grave crise agricole et de l'élevage en particulier et qu'il ne fallait pas encore davantage "enfoncer" un secteur déjà sinistré;
- que la mise en place de caméras vidéos allait coûter cher aux petits abattoirs (moins de 50 salariés) qui risquaient de ne pas s'en remettre;
- la visite inopinée de parlementaires dans les abattoirs était une mauvaise idée car les seuls lieux où cela se fait sont les lieux de privation de liberté et qu'il ne fallait pas mettre sur un pied d'égalité les droits humains et les droits des animaux;

Parmi les députés qui sont intervenus, peu d'entre eux, hélas, se sont illustrés par leur volonté d'améliorer la protection des animaux en abattoir à l'exception notable de O.Falorni et de Laurence Abeille évidemment. A noter les propos raisonnables et emprunts de sincérité d'un seul député de droite ,M.Lellouche (comme souvent) qui a rappelé qu'il fallait tenir compte de l'évolution sociétale.

2) L'issue des débats:
 
Une seule "bonne "nouvelle et à vrai dire une surprise : L’amendement Falorni stipulant que des caméras seront installées dans tous les endroits où des animaux sont manipulés à savoir les lieux "d’acheminement, d’hébergement, d’immobilisation, d’étourdissement, d’abattage et de mise à mort" . Cette mesure devrait, en principe, être effective en 2018 après  une expérimentation permettant d’évaluer l’opportunité et les conditions de leur mise en place ».
 
Mais c'est bien la seule mesure "significative" avec la création d'un comité d'éthique...type d'organisation cher à la France et dont l'utilité  dépend de la composition dudit comité !   En revanche, exit, le droit de visite" inopinée" dans les abattoir de parlementaires accompagnés de journalistes munis de leur carte professionnelle, la création de comités locaux de suivi des établissements , l’expérimentation des abattoirs mobiles et l’interdiction d'abattre les femelles gestantes au dernier trimestre de leur gestation.

 
3) Et maintenant ?
 
Le vote par l'assemblée nationale ne clôt évidemment pas le sujet. Le texte devra encore être examiné par le Sénat et cela n'est pas pour demain. Les travaux du parlement et de la présente législature prendront bientôt fin.
Le texte ne pourra être examiné par le Sénat qu'au cours de la prochaine législature c'est  à dire après les élections législatives (en juin) et sénatoriales (en septembre) .
Inutile de dire que l'affaire n'est pas gagnée car il est fort probable que nous ayons une nouvelle majorité qui, comme chacun sait, n'est pas favorable à la cause animale et dont on ne peut que craindre la forte opposition au texte...ou du moins ce qui reste du texte initial.
 
4) Que penser de l'installation des caméras de surveillance ?
 
L'adoption du texte en ce qu'il prévoit l'installation de caméras dans tous les endroits où des animaux vivants sont manipulés est évidemment une bonne chose et porteuse d'espoir.
 
C'est une bonne nouvelle que la mesure proposée par Olivier Falorni ait été adoptée (après avoir été retirée lors de l'examen en commission le 14 décembre 2016).
 
Il faut néanmoins tempérer l'enthousiasme dont tous les réseaux sociaux se sont fait l'écho. En effet:
 
- le contrôle que permet l'enregistrement des images est évidemment un contrôle a posteriori. Cela peut fortement dissuader les mauvais traitements mais ne peut les empêcher;
 
- les images ne pourront être visionnées que par les services vétérinaires ainsi que les responsables des abattoirs. Aucun accès aux associations de protection animale ni à des parlementaires . Lorsque l'on sait à quel point les services vétérinaires ont souvent été "absents" ou tout simplement "n'ont pas vu (ou pas voulu voir) " ce qui se passe sous leurs yeux ou derrière...cela ne rassure guère !
 
5) Conclusion
 
Une fois de plus les représentants du peuple ont manqué une belle occasion de faire évoluer la cause animale. Tous se sont accordés sur le caractère inadmissible des mauvais traitements aux animaux, tous sont soi-disant favorables au "bien-être des animaux" mais au-delà des déclarations de bonnes intentions, l'on doit, hélas, constater que "Business first". Il faut a tout prix défendre les intérêts économiques (et les intérêts des élus qui tiennent à leurs mandats)  d'un modèle à bout de souffle et dont on peut prédire qu'il disparaitra d'ici 20 ans au plus.
 
Des parlementaires, de tous bords, en décalage (sauf quelques uns auxquels il convient de rendre un hommage appuyé comme Laurence Abeille et Olivier Falorni) avec les attentes sociétales fortes en matière de protection et de bien-être animal.
 
Et encore, il convient de rappeler que les députés, en général, ont la réputation d'être plus "audacieux" que les sénateurs...alors imaginez l'attitude du sénat lors de l'examen du texte même si, on le sait, l'assemblée nationale a toujours le dernier mot.
 
Décidemment le "bien-être animal" dont tout le monde se gargarise y compris parmi les parlementaires  a peu de poids face aux dures réalités économiques défendues âprement par les députés hier ...On veut bien être favorable au "bien-être animal" pour autant que cela ne se fasse pas au détriment des affaires...
 
"Bien-être animal", réalité ou slogan "bidon" ? si l'animal est un être sensible comme le reconnaît désormais le code civil depuis 2015 et que les mots ont un sens ,il faut en tirer toutes les conséquences, non ?