Une interview très intéressante vient d'être publiée par la revue "Yale Environnement 360". Le célèbre spécialiste du tigre en Inde Ullas Karanth qui a consacré près de 50 ans de sa vie à protéger cet animal emblématique de l'Inde s'exprime sur son état de conservation.
Sa vision est plutôt optimiste, du moins moyennant une gestion intelligente et la coopération des populations locales.
Sous ces réserves,l'Inde pourrait, dit-il, supporter une population de tigres cinq fois supérieure à celle actuelle (15'000 tigres au lieu de 3'000 de nos jours).
Karanth explique que ses méthodes scientifiques pour suivre la population de tigres s'est souvent heurtée à l'administration locale qui privilégie la collecte d'empreintes alors que lui préfère le suivi par la pose de caméras fixes sur base de tigres identifiés individuellement.
Pour explique son optimisme quant à la possibilité d'augmenter sensiblement la population de tigres en dépit d'une population humaine de 1,3 milliards, Karanth précise qu'il existe environ 300'000 kilomètres carrés de forêts où les tigres peuvent vivre et qui ne sont encore pas transformés en terres agricoles appartenant à l'état (elles sont protégées sous forme de réserves).
Pour autant que cette surface soit correctement protégée et contienne les proies nécessaires aux tigres, 10'000 à 15'000 individus pourraient parfaitement y vivre.
Les zones protégées de Nagarhole et de Bandipur contiennent une population de 10 à 15 tigres pour 100 kilomètres carrés. En ne comptant que 5 tigres par 100 kilomètres carrés on pourrait atteindre les 15'000 tigres affirme Karanth.
Sans proies pas de tigres. Les proies sont souvent absentes en raison du braconnage qui sert à alimenter les populations locales en viande. Il s'agit là d'un enjeu majeur gage de survie du tigre.
Karanth, à la réflexion qui lui est faite au sujet de la politique conduite actuellement par le premier ministre Modi qui privilégie apparemment le passage des autoroutes à travers l'habitat du tigre, déclare que certes Modi a clairement affirmé sa volonté de développer rapidement le pays mais a également augmenté les fonds destinés à la préservation de l'animal.
Karanth précise que les zones à tigres ne représentent qu'une surface de 4 ou 5 % des surfaces du pays; cela n'est pas de nature à empêcher la construction d'autoroutes. qui peuvent parfaitement contourner ces zones
Mais le problème dit-il est que l'administration locale ne tient pas compte de la problématique des tigres et ne l'inclut pas dans sa réflexion.
En conséquence, les activistes environnementaux saisissent alors les tribunaux pour s'opposer aux projets et les affaires trainent ainsi en justice durant 10 ou 20 ans ...
Selon Karanth si la population est encouragée à quitter les zones à tigres pour se rendre dans les métropoles cela permettrait de libérer de l'espace et de préserver l'habitat de l'animal.
Bien entendu des compensations doivent être versées aux populations concernées. Mais il existe un fonds baptisé CAMPA (qui collecte des amendes relatives à des gros projets industriels ou de construction d'autoroutes destinées à compenser la perte de forêts) qui peut être utilisé à cet effet.
Cependant plutôt que d'utiliser l'argent pour planter des forêts il serait plus judicieux de les affecter à la disparition des causes de pression exercées sur l'habitat du tigre (élevage et population vivant en marge des zones à tigres).
Mais qu'en est-il en dehors de l'Inde ?
Karanth estime que c'est la Thaïlande qui a fait le meilleur travail avec de gros blocs de forêts propices à la survie de l'espèce et que s'agissant d'un pays très développé au plan économique la pression autour des zones à tigres n'est pas aussi forte qu'en Inde.
Quant à la Malaisie et à l'Indonésie la situation est plus difficile. Ces deux pays disposent d'un habitat plus difficile pour le tigre à savoir essentiellement des forêts humides moins favorables à l'animal.
Quant au Vietnam la situation est encore plus compliquée car l'habitat y est très fragmenté et la culture est très pro "chasse".
Le Cambodge et le Laos disposent de grandes forêts mais le mécanisme de protection n'est pas opérationnel et ces deux pays ont perdu des tigres.
En Chine de gros efforts ont été fournis pour restaurer la population locale de tigres y compris par l'apport d'individus venant de Russie. Le pays est en train de créer une vaste zone de 60'000 kilomètres carrés de parcs pour favoriser le retour des tigres dans le nord-est du pays et cela marche (d'une dizaine de tigres le nombre a augmenté à 20-30) . Une fois la Chine déterminée les efforts se traduiront très vite dans les faits.
En conclusion Karanth estime que croissance économique et démographique ne sont pas synonymes de disparition du tigre.
Lorsqu'il était jeune, la région des "Western Ghats" comptait 75 tigres au plus alors qu'aujourd'hui, avec une population de 15 millions d'habitants dans cette zone et une croissance économique de l'Inde passée de 3 à 7%, le nombre de tigres a progressé à plus de 400 !
On peut donc parfaitement combiner croissance économique et croissance des populations de tigres.
Telle est la leçon à retenir selon Karanth...pour peu qu'il y ait de la bonne volonté, moins de corruption et de bureaucratie et plus de réflexion lorsque des projets d'infrastructures sont lancés..
Source:
https://e360.yale.edu/features/big-cat-comeback-how-india-is-restoring-its-tiger-population-ullas-karanth