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Juriste .Coordinateur de EGALS (Educational Group for Animal Law Studies- http://egals.university/).Chargé d'enseignement en droit de l'animal /Université de Strasbourg. Président de TELAS Conseil -Consultant en protection animale et formateur. Profil complet sur https://www.linkedin.com/in/jean-marc-neumann-b634bb179/

vendredi 22 mai 2020

La High Court d'Islamabad au Pakistan reconnait des droits fondamentaux aux animaux

La High Court d'Islamabad au Pakistan a rendu une décision importante (et longuement argumentée sur 67 pages !) en date du 21 mai 2020. 

Par son jugement, la cour reconnait certains droits fondamentaux aux animaux.


L'affaire concerne principalement un éléphant dénommé Kaavan détenu par le zoo de Marghazar au Pakistan dans des conditions contraires à ses besoins biologiques, sociaux et psychologiques.

Kaavan avait été offert en cadeau en 1985 par le Sri Lanka au Pakistan.
L'éléphant était enchaîné et détenu ainsi dans un petit enclos durant plus de 36 ans.
Ses conditions de détention étaient particulièrement dures (eau sale, boue, etc.). Le zoo  soutenait qu'il n'avait pas les moyens financiers d'entretenir l'enclos et de garantir de bonnes conditions d'hygiène. Les autres animaux dudit zoo souffraient également de pareilles conditions.

Compte-tenu de ses conditions de détention, Kaavan présentait des stéréotypies et de graves problèmes neurologiques.

La demande présentée à la cour avait, notamment, pour objet l'extraction de Kaavan du zoo et son  transfert vers un sanctuaire.

Après s'être référée à la pandémie du Covid19 et des risques qui y sont associés pour les humains, les juges ont rappelé l'interdépendance des êtres vivants et la nécessité de restaurer un équilibre dans la nature ("It has highlighted the interdependence of living beings on each other, the desperate need to restore the balance created in nature and, above all, it has conspicuously brought the essence, meaning and significance of 'life' into the spotlight, The questions raised in these petitions are definitely in the context of the relationship of one form of life with another i.e. humans and the other living creatures called 'animals').

A la question essentielle " Les animaux ont-ils des droits" ( C.  Do animals have rights? Is there a duty on the part of the State and the human species to protect the wellbeing and welfare of the animal species?), la cour répond par l'affirmative. 

Nous reviendrons plus loin sur ce point déterminant.

La cour dans son jugement se réfère à certaines affaires récentes dans le monde, notamment celles en Argentine de Sandra l'Orang-Outang (première affaire dans laquelle un orang-outan a été reconnu en tant que 'non human person‟ ou personne non humaine) , de Cécilia le chimpanzé dont le transfert avait été ordonné vers le "Sorocaba sanctuary" au Brésil, d'Arturo l'ours polaire décédé au zoo de Mendoza en Argentine après que les demandes de transfert vers un autre zoo aient été rejetées par le zoo de Mendoza, les cas aux Etats-Unis (procédures initiées sur la base de l'Habeas Corpus par le Non human Rights Project de Steven Wise) des chimpanzés  Kiko, Tommy, Hercules et Leo ainsi que de l'éléphant "Happy" du zoo du Bronx.    

La cour se réfère par ailleurs au Coran, à de nombreux textes du droit national pakistanais, à d'autres droits nationaux , à des textes internationaux et, ce qui est une surprise, à la déclaration universelle des droits de l'animal de 1978 rédigée par la ligue internationale des droits de l'animal (aujourd'hui la LFDA-Fondation Droit Animal ,Ethique et Science sise à Paris présidée par Louis Schweitzer). Déclaration universelle qui n'a pas de valeur juridique et qui avait été simplement rédigée par une ONG française et lue à l'UNESCO. 

La cour rappelle que les animaux ne sont pas des choses ou des biens


After surveying the jurisprudence developed in various jurisdictions it has become obvious that there is consensus that an 'animal' is not merely a 'thing' or 'property'.

Elle reconnait que les animaux ne doivent pas être soumis à des traitements cruels et reconnait que dans l'affaire qui lui est soumise tel est le cas:

("There is also no dispute regarding the fact that no animal deserves to be subjected to cruel treatment. 

In the case in hand it has been argued that the animals in the Zoo are living in captivity and the conditions are such that the treatment has subjected them to unnecessary pain and suffering"). 


Les juges précisent que les animaux sont incontestablement des êtres sensibles éprouvant des émotions et susceptibles de ressentir de la joie et de la douleur: 

("A living being on the other hand has rights because of the gift of 'life'. An animal undoubtedly is a sentient being. It has emotions and can feel pain or joy.")

La cour déclare que les animaux doivent bénéficier de conditions de détention conformes à leurs besoins biologiques, sociaux et psychologiques:

("By nature each specie has its own natural habitat. They require distinct facilities and environments for their behavioural, social and physiological needs. This is how they have been created. It is unnatural for a lion to be kept in captivity in a restricted area. To separate an elephant from the herd and keep it in isolation is not what has been contemplated by nature.")

Revenons sur la question de savoir si les animaux ont des droits; sur ce point, la cour est claire. Elle répond par l'affirmative sans hésitation:

"Do the animals have legal rights? The answer to this question, without any hesitation, is in the affirmative". 

Elle va même plus loin: elle affirme que les animaux comme les humains ont des droits naturels qui méritent d'être reconnus. C'est le droit de chaque animal en tant qu'être vivant, de pouvoir vivre dans un environnement qui lui permette de satisfaire ses impératifs biologiques, sociaux et psychologiques:

"Like humans, animals also have natural rights which ought to be recognized. It is a right of each animal, a living being, to live in an environment that meets the latter's behavioral, social and physiological needs.

En outre, les juges déclarent que chaque animal a le droit d'être respecté car il est un être vivant disposant du don précieux de la vie :

"It is also a natural right of every animal to be respected because it is a living being, possessing the precious gift of 'life'. "

La High Court affirme que les humains ne peuvent s'arroger le droit ou la prérogative de jeter en esclavage ou de soumettre un animal car ce dernier est né libre à une fin précise :

"Humans cannot arrogate to themselves a right or prerogative of enslaving or subjugating an animal because the latter has been born free for some specific purposes."

La juridiction déclare que l'animal dispose d'un droit naturel de ne pas être torturé ou tué  sans nécessité car le don de la vie dont il jouit est précieux :

"It is a natural right of an animal not to be tortured or unnecessarily killed because the gift of life it possesses is precious and its disrespect undermines the respect of the Creator.".

Après avoir reconnu le traitement cruel de l'éléphant par le zoo, la cour, en page 62 du jugement, ordonne le transfert dans un délai de 30 jours de Kaavan vers un sanctuaire ("Kaavan, the elephant, has been treated cruelly by subjecting him to unimaginable pain and  suffering for the past three decades and his continued captivity in the circumstances would expose the authorities to criminal conséquences under the Act of 1890. The pain and suffering of Kaavan must come to an end by relocating him to an appropriate elephant sanctuary, in or outside the country")

Les autres animaux du zoo (ours bruns, crocodile, autruches, lions, loups, oiseaux, etc.) doivent également faire l'objet de transferts dans un délai de 60 jours vers des sanctuaires ("The Board constituted under the Wildlife Ordinance of 1979 shall relocate all the remaining animals to their respective sanctuaries within sixty days from the date of receiving a certified copy of this judgment."). 

Source: Non Human Rights Project (communiqué du 21 mai 2020)

Copie de la décision: