L'Inde a ceci de fascinant pour les juristes que certains de ses tribunaux sont particulièrement audacieux et n'hésitent pas depuis quelques années à attribuer la personnalité juridique à des animaux.
Cette évolution (ou plutôt révolution) a débuté en 2014 par la décision rendue dans l'affaire" Animal Welfare Board of India vs.A. Nagaraja & others".
La Cour suprême avait considéré non seulement que la pratique du lâcher de taureaux dans la foule violait la loi du 26 décembre 1960 sur la prévention de la cruauté envers les animaux (PCA "Prevention of Cruelty to Animals"), mais que les obligations juridiques des humains envers les animaux dont ils ont la garde en vertu de la PCA confèrent de facto aux animaux concernés des droits.
Selon la Cour suprême, les «devoirs fondamentaux» des citoyens résultant des articles 51-A (g) et (h) de la Constitution indienne (obligation de faire preuve de "compassion" envers les êtres vivants) s'accompagnent nécessairement du droit de "vivre en paix »pour les animaux ainsi que le droit de voir leur bien-être protégé.
Ainsi que le souligne le Dr.Rajesh K.Reedy (cf. son article sur le site de l'université Lewis & Clark/ Line ci-dessous) "Bien que la Cour suprême de l’Inde nait pas employé le langage explicite de la personnalité juridique à Nagaraja, son avis a permis à deux des plus hautes juridictions d’État de l’Inde de développer le lien inhérent entre les droits et la personnalité".
Dans sa décision de 2018 "Narayan Dutt Bhatt c.Union of India & others" (surcharge de chevaux en violation de la PCA), la High Court de l'Uttarakhand se fondant sur la décision "Animal Welfare Board of India vs.A. Nagaraja & others" pour, selon le Dr Rajjesh K.Reedy " affirmer le lien entre les droits juridiques et la personnalité" (cf. mon article du 6 juillet 2018). Au point 99 page 50 de la décision, la High Court avait déclaré que "tout le règne animal y compris les oiseaux et les animaux aquatiques doit être considéré comme des personnes juridiques avec les droits, devoirs et responsabilités d'une personne vivante". Quant à la notion de "personnalité juridique" accordée aux animaux , la cour avait déclaré tous les citoyens de l'état "Persons in loco parentis" (c'est à dire tenant lieu de parent ou tuteur) leur attribuant en conséquence la responsabilité de protéger les animaux et d'assurer leur bien-être.
Le 10 août 2020, la "People’s Charioteer Organization" a engagé une PIL ("Public Interest Litigation" ) devant la cour suprême indienne pour voir la personnalité juridique étendue à tous les animaux du pays.
En page 62 de l'acte introductif d'instance, la PCO demande à la cour qu'elle prononce une décision ou émette un ordre déclarant que toutes les espèces du règne animal sont considérées comme "personnes juridiques" ("a) Issue an appropriate writ, order or direction, declaring the entire animal kingdom including avian and aquatic species as “legal entities” having a distinct persona with corresponding rights of a living person and further declaring all Citizens of India as persons in loco parentis, for the protection of animals from cruelty and abuse and to ensure their welfare")
La PIL présente par ailleurs d'autres demandes à la cour suprême
- obliger le National Crime Records Bureau à signaler et publier des données, des statistiques et des affaires impliquant des crimes contre les animaux.
- d'obliger les États à créer des unités d'urgence pour le bien-être des animaux, un portail en ligne et une ligne directe pour signaler les abus, et des commissions indépendantes pour enquêter sur les rapports de cruauté envers les animaux.
- d’ordonner aux États de la fédération indienne:
- d’interdire les combats d’animaux, de tenir les cadres supérieurs des forces de l’ordre pour responsables de l’incapacité des subordonnés à appliquer les lois anti-cruauté,
- de créer des fonds pour le bien-être des animaux
- de mettre progressivement fin aux tests sur les animaux.
Incontestablement la procédure engagée par la PCO est extraordinairement ambitieuse. L'avenir nous dira quelle sera la réponse de la plus haute juridiction indienne.
La situation des animaux en Inde peut, nous l'espérons, en être très favorablement impactée et, qui sait, la décision pourra constituer une étape importante dans l'évolution du droit et être une référence pour tous les juristes en droit animalier.
A suivre !
Sources:
Article de Dr.Rajesh K.Reddy:
"PIL":
https://www.drishtiias.com/to-the-points/Paper2/public-interest-litigation
PIL engagée devant la cour suprême: