samedi 12 septembre 2020

France: Le juge des référés du Conseil d’État suspend aujourd’hui l’autorisation de la chasse de la tourterelle des bois pour la saison 2020-2021

La décision de la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, d'autoriser la chasse à la tourterelle des bois vient d'être suspendue par le juge des référés du Conseil d'état.

Rappelons que la ministre le jour même de l'annonce de la suspension de la chasse à la glu avait parallèlement autorisé par voie d'un arrêté en date du 27 août 2020 la chasse de la tourterelle des bois en fixant un quota de 17 460 sur base déclarative des chasseurs.

L'arrêté avait provoqué la colère de nombreux écologistes et notamment de deux associations qui avaient saisi le Conseil d'état , à savoir la LPO et One Voice.

L'ordonnance de référé a été rendue le 11 septembre (1).

Le juge des référés rappelle que " La tourterelle des bois est un oiseau migrateur qui figure, d’une part, parmi les espèces énumérées à l’annexe II, partie B de la directive 2009/147/CE du parlement européen et du conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, dont les Etats membres ne peuvent, en vertu du 1. et du 3. de l’article 7 de cette directive, autoriser la chasse que sous certaines conditions, et d’autre part, parmi celles qui sont mentionnées dans l’arrêté du 26 juin 1987 fixant la liste des espèces de gibier dont la chasse est autorisée."

Concernant la condition d'urgence nécessaire à l'exercice de la procédure de référé, le juge considère "qu’eu égard à l’objet de l’arrêté dont la suspension est demandée, qui détermine les conditions dans lesquelles la tourterelle des bois peut être chassée depuis le 29 août 2020 jusqu’au 20 février 2021, au nombre maximal de prélèvements qu’il retient pour la chasse de cette espèce et qui n’est pas encore atteint, ainsi qu’à l’état de conservation de celle-ci, la condition d’urgence est remplie."

Ensuite, s'agissant du "doute sérieux" quant à la légalité de l'arrêté pris par Barbara Pompili, le juge considère : 

1.  "que le nombre de tourterelles en Europe a diminué de près de 80% entre 1980 et 2015, tout particulièrement sur la voie de migration occidentale dont fait partie la France, laquelle représente avec 400 000 à 480 000 couples, 10% de la population reproductrice européenne, en diminution de 44% sur les dix dernières années. L’espèce est en déclin selon le Museum national d’histoire naturelle et est classée comme vulnérable par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN)";

2.  "qu’un « plan d’action international pour la conservation de la tourterelle des bois » a été adopté en 2018 par les Etats signataires de l’accord sur la conservation des oiseaux d’eau migrateurs d’Afrique-Eurasie (« AEWA »), auquel l’Union européenne est également partie et qu’elle met en œuvre par la directive du 30 novembre 2009. Ce plan indique que doivent être abordés simultanément, notamment, les pertes d’un bon habitat pour la reproduction et pour l’hivernage des tourterelles ainsi que le caractère non durable de leur chasse. A ce second titre, il comporte deux mesures 3.1.1 et 3.2.1 tendant à « mettre en œuvre un moratoire temporaire sur la chasse jusqu’à l’élaboration d’un cadre de modélisation pour la gestion adaptative des prélèvements » et à « élaborer un cadre solide de modélisation de la gestion adaptative pour la chasse de la tourterelle des bois pour chaque voie de migration, sur la base de données démographiques et provenant de l’activité de chasse, et proposer des quotas et des saisons de chasse à appliquer au niveau national et local » à travers un groupe de travail international. Lors de l’approbation du plan, la France a indiqué qu’elle n’appliquerait pas le moratoire souhaitant mettre en œuvre, à son niveau, une modélisation de la gestion adaptative dès le début de 2019";

3. "qu'il résulte de l’avis du 13 mai 2019, rendu...par le comité d’experts sur la gestion adaptative (CEGA), ...que sa recommandation, pour la saison 2019-2020, de retenir un quota de prélèvement n’excédant pas 18 300 individus n’était que subsidiaire, « si un quota de prélèvement non nul devait être attribué », par rapport à la préconisation principale tendant à retenir un quota de prélèvement fixé à zéro dont il était précisé qu’il conduisait déjà, au regard des modèles démographiques utilisés, à ce que « la probabilité que le déclin de la population se poursuive reste élevée (43%) ";

4. "qu'il résulte du compte-rendu de la séance du 29 juin 2020 au cours de laquelle le comité précité a examiné le quota de prélèvement litigieux qu’il ne disposait d’aucune nouvelle information utilisable, ce qui l’a conduit à reconduire son avis de l’année précédente, un membre ayant précisé que les premiers résultats de la modélisation engagée au niveau international interviendrait en octobre en vue d’une communication officielle à la fin de l’automne. L’absence de donnée résulte, par ailleurs, des dispositions mêmes de l’arrêté du 30 août 2019 mentionné au point 2 qui ne prévoient une transmission du rapport sur l’évaluation de l’impact des prélèvements de la saison de chasse se terminant en février 2020 sur l’état de conservation de l’espèce qu’avant le 30 novembre de cette année";

5. "qu'il résulte de l’instruction, et notamment de la mise en demeure adressée le 25 juillet 2019 par la commission européenne à la France que si quatre-vingt zones de protection spéciale mentionne la tourterelle des bois dans les formulaires de données standard, la taille minimale de sa population n’est disponible que pour 15 sites représentant, au total, seulement 0,3% de la population française, et d’autre part, que la tourterelle ne fait l’objet d’aucune mesure de conservation spécifique, son habitat n’étant jamais pris en compte dans l’évaluation de l’incidence des projets conduits. Par ailleurs, si l’administration et la fédération nationale des chasseurs ont listé, dans la présente instance, les actions conduites sur les habitats favorables notamment à la tourterelle des bois, aucune d’entre elles ne permet de mesurer l’évolution de l’état de conservation de cette espèce et l’administration a différé, compte tenu notamment de l’état d’urgence sanitaire, l’adoption du plan national de gestion de la tourterelle du premier semestre de l’année 2020 à celui de l’année 2021."

6. "qu'il résulte des indications données à l’audience que la diminution de 3% du quota de prélèvement litigieux par rapport à la première saison où il avait été fixé n’a été déterminée ni au regard des 4950 prélèvements qui ont été enregistrés au titre de cette saison et dont l’exhaustivité ainsi que la représentativité sont d’ailleurs contestées, ni en prenant en compte l’état de conservation de l’espèce et les prélèvements dans les autres pays de la voie de migration occidentale, ni encore en fonction de données relatives à l’évolution de la population française depuis l’année dernière mais uniquement par application d’une règle de trois fondée sur une approximation de la baisse tendancielle de la population européenne sur les décennies passées alors qu’une telle baisse devait conduire si le gouvernement estimait qu’elle perdurait en dépit de la diminution des prélèvements, à interdire ceux-ci, s’agissant d’une espèce aussi vulnérable, et non à réduire proportionnellement leur quota."

Le juge des référés conclut au point 14 que " Eu égard à l’ensemble de ces circonstances et au principe de précaution, le moyen tiré de ce que l’arrêté attaqué, en tant qu’il fixe un quota de prélèvement supérieur à zéro, méconnaît l’objectif d’amélioration de l’état de conservation de l’espèce, résultant des articles 2 et 7 de la directive n° 2009/147/CE du 30 novembre 2009, transposés notamment aux articles L. 425-16 et L. 425-17 du code de l’environnement, apparaît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à sa légalité."

En conséquence, le juge ordonne à l'Article 2 de l'ordonnance que "L’exécution de l’arrêté de la ministre de la transition écologique et solidaire du 27 août 2020 relatif à la chasse à la tourterelle des bois en France métropolitaine pendant la saison 2020-2021 est suspendue en tant que cet arrêté fixe à un nombre supérieur à zéro le total des prélèvements autorisés pour l’ensemble du territoire métropolitain."

Une très bonne nouvelle pour les tourterelles des bois même s'il ne faut pas oublier que plus de 6000 d'entre elles auront été tuées avant que l'ordonnance ne soit rendue.

Une fois de plus la complaisance des autorités envers les chasseurs aura été sanctionnée par les juges. 

Peut-être l'autorisation de chasse à la tourterelle des bois avait été la contrepartie consentie par le gouvernement aux chasseurs après la suspension de la chasse à la glu.

Nul ne peut sérieusement croire que le ministère ne connaissait pas le "doute sérieux" quant à la légalité de l'arrêté qu'il allait prendre. Sa complaisance à l'égard des chasseurs parait manifeste.

Ce qui est davantage étonnant, avec une pointe d'ironie, c'est de constater que les premiers écologistes de France et qui disent œuvrer pour la biodiversité , ne soient pas attachés (au moins autant que les écologistes) au maintien d'une population viable de tourterelles des bois.

En tout cas, le juge des référés aura, en l'espèce, rendu une ordonnance dont il y a tout lieu de se réjouir et qui est bien motivée. 

La France s'illustre régulièrement, hélas, dans sa gestion des espèces sauvages et par la violation du droit européen en particulier. 

Heureusement que les juges rappellent l'état à ses obligations au regard du droit européen, ce dernier méconnaissant dans le cas examiné l’objectif d’amélioration de l’état de conservation de l’espèce.

Le respect du droit n'est pas négociable; l'état doit rester neutre et appliquer les règles de droit auxquelles ils est astreint. 


Ordonnance du juges des référés du Conseil d'état :

https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/dernieres-decisions-importantes/conseil-d-etat-11-septembre-2020-chasse-de-la-tourterelle-des-bois